Le texte ci-dessous est un résumé du contenu de l’exposé présenté lors des journées X-ENS-ESPCI-UPS de formation des enseignants de chimie en classes préparatoires à l'École polytechnique en mai 2008. 

La spectrométrie de masse s’est imposée depuis une vingtaine d’années comme un outil d’analyse puissant. Les découvertes de nouveaux modes d’ionisation (électronébullisation ou « electrospray ionization » (ESI) en anglais, désorption-ionisation assistée par matrice ou MALDI), qui ont valu à leurs auteurs une partie du prix Nobel de chimie en 2002, ont rendu cette famille de techniques applicable à presque tous les types d’échantillon, et en particulier aux macromolécules biologiques. Des spectromètres de masse sont désormais utilisés pour l’analyse chimique ou biologique dans les hôpitaux, les musées, les aéroports, les laboratoires de la police scientifique. Les avantages de la spectrométrie de masse, par rapport à d’autres techniques d’analyse, sont sa versatilité, sa sensibilité et sa capacité à être couplée aux techniques séparatives. Dans cet exposé, les composants d’un spectromètre de masse seront d’abord brièvement décrits. Les performances seront ensuite passées en revue en relation avec le cahier des charges de différents contextes analytiques. La capacité d’analyse structurale d’ions gazeux sera ensuite décrite brièvement, avant d’aborder les possibilités de couplage avec diverses techniques séparatives ou spectroscopiques.

Les principaux composants d’un spectromètre de masse

La mesure de masse ne peut être effectuée que sur la molécule isolée, contrairement à la mesure de grandeurs spectroscopiques telles que déplacements chimiques, fréquences de vibration, énergies d’états électroniques excités…, qui sont influencées par l’environnement mais gardent un sens défini en phase condensée. Il est donc nécessaire de transformer un échantillon généralement liquide ou solide en gaz dilué, nécessitant un vide poussé. Pour pouvoir manipuler des molécules en faible densité, il est beaucoup plus facile de les ioniser pour qu’elles réagissent à des combinaisons de champs électriques et/ou magnétiques. Produire et détecter des ions en phase gazeuse très diluée est le principe commun à tous les spectromètres de masse. Ceux-ci consistent donc en une source d’ions et un analyseur muni d’un système de détection, le tout étant associé à un système de pompage puissant. Un message essentiel de cet exposé est que ce schéma général peut être décliné d’un grand nombre de manières, entre lesquelles il y a lieu de choisir pour un problème analytique donné.

Historiquement, les molécules étaient vaporisées ou sublimées thermiquement, et le gaz neutre ainsi formé était ensuite soumis à un flux d’électrons accélérés. L’impact électron-molécule produit, en général efficacement, un cation-radical et deux électrons : c’est la technique d’ « impact électronique ». Utilisée presque exclusivement pendant plusieurs décennies, facile à mettre en oeuvre, elle a le désavantage d’être inutilisable pour les molécules thermolabiles pour lesquelles la pyrolyse est beaucoup plus efficace. De ce fait, elle n’est utilisée aujourd’hui que pour des molécules d’assez petite taille et de volatilité non négligeable. Les techniques modernes d’ionisation (dont les principales sont l’ESI et le MALDI citées plus haut) sont en constante évolution ; des approches sophistiquées permettent de produire des ions gazeux à partir de tous types d’échantillons, organiques, organométalliques et inorganiques, mais aussi des macromolécules biologiques ou des polymères. Certaines techniques donnent accès à des ions multi-protonés (en mode positif) ou multi-déprotonés (en mode négatif).

L’analyse des ions est faite en mesurant leur rapport masse/charge, en tirant parti de l’interaction entre la charge et un ou des champ(s). Il peut s’agir de la mesure du temps de vol des ions dans un tube à vide (plus un ion est lourd, plus il est lent), de la mesure d’une déflection angulaire sous l’effet d’un champ électrique, de la mesure de la fréquence du mouvement de cyclotron dans un champ magnétique uniforme, etc. Une certaine versatilité de couplage existe entre les différents types de sources et d’analyseurs d’ions, mais toutes les combinaisons ne sont pas possibles (par exemple entre l’ESI qui est une source continue de production d’ions et l’analyse par temps de vol qui est intrinsèquement pulsée).

Les performances d’un spectromètre de masse

Elles se caractérisent par plusieurs paramètres : la gamme de masse, la gamme dynamique, la précision et la résolution en masse, ainsi que le taux de fragmentation.

La « gamme de masse » est un terme ambigu puisque c’est la gamme de rapport masse/charge qui a un sens expérimentalement. En effet, des molécules de grande taille peuvent être ionisées par l’addition ou l’arrachement d’un nombre variable de protons dans des conditions expérimentales données. La gamme de masse est donc déterminée par les performances de l’analyseur, mais aussi par les caractéristiques de la source d’ion, qui conduisent à la formation d’ions mono- ou multi-chargés. La gamme dynamique est l’étendue des concentrations relatives détectables (précisément : le rapport de la plus grande sur la plus petite). Si un composant est très nettement dominant dans un mélange, peut-on détecter des composants très minoritaires ? Cette question est un enjeu analytique majeur. Puis quand des signaux doivent être identifiés, la précision en masse permet ou non de leur attribuer une formule brute unique, en utilisant les masses exactes des isotopes principaux des éléments. Enfin, la résolution en masse est la capacité de distinguer deux pics correspondant à des masses très proches. La précision et la résolution en masse dépendent du type d’analyseur utilisé, mais aussi de la fenêtre de masse considérée. Pour des molécules organiques et biologiques, les performances seront précisées au regard des besoins en analyse pétrolière et en protéomique.

L’analyse structurale par spectrométrie de masse

La spectrométrie de masse est avant tout une technique de mesure de masse, mais elle peut aussi être utilisée pour obtenir des informations structurales, plus ou moins indirectement. Dans tous les cas, il s’agit de « spectrométrie de masse en tandem », impliquant la mesure et la sélection d’un unique rapport masse/charge dans un premier analyseur, son activation, puis la mesure de la masse des fragments ioniques qui résultent de sa fragmentation, dans un second analyseur. La masse des fragments permet d’obtenir des informations sur le type d’isomère présent dans l’échantillon, des isomères donnant en général naissance à des fragments de masses différentes. La mise en oeuvre de telles stratégies implique de pouvoir mesurer des masses au moins deux fois, soit dans des lieux différents (spectromètres de masse en tandem dans l’espace), ou dans un même lieu mais à des temps successifs (tandem dans le temps). La manière la plus classiquement utilisée pour activer des ions est la collision avec un gaz chimiquement inerte, en général l’argon. La distinction entre isomères de molécules organiques a été l’application la plus fréquente de cette approche ; plus récemment, elle a été utilisée pour déterminer la séquence de peptides et de protéines et est standardisée dans les plate-formes de protéomique. D’autres méthodes, encore en développement, emploient la collision avec des photons IR ou UV, ou avec des électrons. Les fragmentations induites ne sont pas toujours les mêmes, donnant accès à des informations structurales différentes. Dans un contexte analytique, la capacité de varier le taux de fragmentation est essentielle, et c’est une caractéristique très importante de la spectrométrie de masse par rapport à d’autres techniques spectroscopiques. Pour maximiser les informations structurales, on cherche à observer un nombre important de fragments. Par contre, pour l’analyse d’un mélange très complexe, il est préférable de minimiser les fragmentations pour que chaque composant du mélange ne donne lieu qu’à un seul signal. On peut ainsi analyser des mélanges de plusieurs dizaines de milliers de composants (bruts pétroliers, charbons, matières humiques et fulviques). Des exemples illustrant les paragraphes 2 et 3 seront présentés concernant l’identification des composants de bruts pétroliers, la mise au point d’un biomarqueur de la maladie de Huntington, et l’identification d’un nouveau sucre sur une protéine des poils d’adhésion de la bactérie de la méningite.

Couplage avec des techniques séparatives ou spectroscopiques

L’analyse de mélanges complexes est en partie déterminée par la préparation des échantillons et par le pouvoir résolutif du spectromètre de masse, mais aussi par la capacité à séparer en amont les familles de composants, par exemple selon leur temps d’élution chromatographique. Les chromatographies en phase gazeuse ou en phase liquide, et l’électrophorèse capillaire, sont les plus couramment utilisées. Elles peuvent être couplées « en ligne », donnant lieu à une automatisation complète des étapes de séparation et d’analyse des échantillons. Il est ensuite possible d’obtenir des informations structurales sur les ions mesurés dans le spectromètre de masse, par dissociation induite par collision (paragraphe 3). Cette étape ultérieure est également automatisée. Selon un principe analogue à celui de la dissociation par collision, on peut irradier les ions avec des photons pour les activer au-delà de leur seuil de fragmentation, et repérer les bandes d’absorption en détectant les fragments. En faisant varier l’énergie des photons, on peut ainsi construire des spectres IR ou UV. On peut aussi faire migrer des ions (après sélection en masse) dans un tube de dérive rempli d’un gaz chimiquement inerte et obtenir des informations sur leur forme globale selon le temps de dérive mesuré : c’est la mobilité ionique. Enfin, des techniques d’imagerie peuvent être adaptées à la spectrométrie de masse, pour réaliser des cartographies, actuellement à l’échelle du micromètre-carré, d’espèces telles que des protéines dans des tissus animaux ou humains.

Ressources en ligne

 
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