Le contrôle de la corrosion par voie chimique

Dans la mesure où la corrosivité de l'eau vis-à-vis du plomb dépend essentiellement du pH, les méthodes de prévention du risque de contamination hydrique les plus répandues consistent à réduire l'agressivité de l'eau en corrigeant certains paramètres physico-chimiques tels que le pH, la dureté (titre hydrotimétrique) ou le taux de carbonatation.

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Pour en savoir plus sur le titre (ou degré) hydrotimétrique (TH)
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Le titre ou degré hydrotimétrique (TH), plus communément désigné par le terme "dureté", est un indicateur de la minéralisation de l'eau. Il correspond à la somme des concentrations en cations métalliques à l'exception des métaux alcalins (Na+, K+). En pratique, le TH correspond essentiellement à la concentration en calcium et en magnésium auxquels s'ajoutent quelquefois les concentrations en fer, aluminium, manganèse et strontium. Expérimentalement, il est peut être déterminé par un dosage complexométrique (norme ISO 6059) en utilisant le sel disodique de l'acide éthylènediaminetétraacétique (H2Na2EDTA). Le degré hydrotimétrique peut être exprimé en milliéquivalents par litre (méq/L) ou en degrés dont l'échelle diffère suivant les pays (degrés français, allemand, anglais, ou américain). Un degré français (°F) correspond à la dureté d'une solution contenant 10 mg/L de carbonate de calcium (CaCO3) et équivaut à 4 mg/L de calcium ou à 2,4 mg/L de magnésium. Le degré allemand représente 10 mg/L d'oxyde de calcium (CaO). Les facteurs de conversion sont récapitulés dans le tableau suivant :

 

Ca2+

mmol/L

Ca2+

méq/L

CaCO3

mg/L

° français

° allemand

° anglais

1 mmol/L Ca2+

1

2,000

100,00

10,000

5,500

7,020

1 méq/L Ca2+

0,500

1

50,00

5,000

2,800

3,510

1 mg/L CaCO3

0,010

0,020

1

0,100

0,056

0,0702

1° français

0,100

0,200

10,00

1

0,560

0,702

1° allemand

0,180

0,357

17,80

1,780

1

1,250

1° anglais

0,140

0,285

14,30

1,430

0,798

1

Il n'existe pas de limite supérieure du degré hydrotimétrique dans la législation française ni de valeur guide. Néanmoins le Ministère de la santé qualifie d'idéal un degré hydrotimétrique compris entre 15 et 25 °F. L'eau dure n'a pas d'effets nocifs sur la santé mais la formation de calcaire peut générer des désagréments matériels (entartrage des canalisations notamment). La limite inférieure du degré hydrotimétrique pour les eaux destinées à la consommation humaine et n'ayant pas subies de traitement thermique est fixée à 15 °F. Une eau trop douce peut présenter des inconvénients pour la santé suite à la dissolution de métaux des canalisations. La grille présentée ci-dessous permet de classifier les eaux selon leur degré de dureté :

  • 0 < TH < 10 °F : Eau très douce
  • 10 < TH < 20 °F : Eau douce
  • 20 < TH < 30 °F : Eau moyennement dure
  • 30 < TH < 40 °F: Eau dure
  • TH > 40 °F : Eau très dure

Conformément à la circulaire du 8 avril 1998, les unités de production et de distribution sont tenues à reminéraliser et/ou neutraliser les eaux douces et acides (pH 3) avec ajout éventuel de dioxyde de carbone dans un filtre fermé sous pression [2-4]. Dans les deux cas, la formation de bicarbonate de calcium (ou hydrogénocarbonate de calcium Ca(HCO3)2) induit une augmentation concomitante du pH, de l'alcalinité et de la dureté. Ces ajustements ont également pour objectif de favoriser la formation d'une couche protectrice à la surface de la paroi interne de la canalisation.

Un second type de traitement préventif de l'eau destinée à la consommation consiste à injecter des agents filmogènes qui réduisent la concentration en plomb libre par la formation d'une fine pellicule adhérente de précipités de sels peu solubles [3-5]. Cette méthode s'apparente à la passivation des métaux. La protection interne de la conduite par carbonatation de l'eau a été envisagée aux Etats-Unis [6-9]. Les conditions optimales de formation du film d'hydrocérusite (Pb3(CO3)2(OH)2) par réaction des ions Pb2+ libérés lors de la corrosion avec le carbonate introduit dans l'eau (équation 1), nécessitent une valeur du pH supérieure à 9 et une teneur en carbone inorganique dissous (DIC) comprise entre 3 et 10 mg.L-1 [10]. Néanmoins, ce type de traitement ne permet pas de respecter la nouvelle valeur paramétrique applicable le 25 décembre 2013 et fixée à 10 µg.L-1 par la directive européenne 98/83.

3 Pb2+ + 2 CO32- + 2 OH- = Pb3(CO3)2(OH)2(s)        K = 1046,8         Equation 1

En pratique, l'adjonction d'orthophosphates (acide orthophosphorique ou orthophosphate de zinc) demeure le traitement le plus efficace et le moins onéreux, la précipitation de l'hydroxypyromorphite (Pb5(PO4)3OH) et d'orthophosphate de plomb (Pb3(PO4)2) et ce même en présence de zinc à des teneurs dépassant 6 mg.L-1, réduit jusqu'à 90 % les teneurs libres en plomb pour un dosage de 1 à 3 mg.L-1 en P2O5 [5,11]. La passivation est très sensible aux fluctuations du pH, les meilleurs résultats ayant été obtenus entre pH 7,4 et 7,8 et une teneur en carbone inorganique dissous (DIC) n'excédant pas 5 mg.L-1. Au-dessus de pH 8, il se forme de l'orthophosphate de plomb colloïdal peu adhérent [10]. L'utilisation de polyphosphates (produits de condensation à chaîne ouverte obtenus par déshydratation thermique d'orthophosphates, ayant pour formule générale PnO3n+1(n+2)- avec n = 2 à 10 et contenant des liaisons P-O-P : par exemple Na5P3O10) et d'hexamétaphosphate de sodium (hexaphosphate cyclique de formule Na6(PO3)6) [12] a également été envisagée bien que ces derniers soient des agents complexants par ailleurs présents dans certaines formulations d'adoucissants anti-calcaire. En raison de la solubilité élevée des complexes, les polyphosphates maintiennent le plomb en solution et leur emploi n'est pas recommandé. Leur mode d'action repose uniquement sur la lente production d'ions orthophosphate par hydrolyse [10].

Néanmoins, ces ajouts peuvent se révéler insuffisants lorsque les eaux sont très douces [13,14]. Selon les évaluations réalisées à l'aide du robinet intégrateur, ils ne garantissent pas totalement le respect de la valeur paramétrique de 10 µg.L-1 fixée par la nouvelle réglementation. Ils permettent cependant de respecter une valeur moyenne en plomb de 25 µg.L-1 dans la plupart des cas ou de 10 µg.L-1 après écoulement en procédant uniquement au remplacement des tronçons de canalisation en plomb les plus longs. De surcroît, cette solution a pour inconvénient de rejeter dans l'environnement des produits phosphatés.

La réhabilitation du réseau de distribution

Différentes solutions de réhabilitation des réseaux de distribution ont été proposées et évaluées économiquement [14]. La solution la plus radicale consiste à remplacer la totalité des conduites et des branchements en plomb. Trois types principaux de technologies de pose des tuyaux neufs sont disponibles : le creusement de tranchées, le percement souterrain d'un nouvel emplacement à l'aide d'un outil téléguidé ("fusée pneumatique") à partir de deux puits verticaux creusés aux deux extrémités évitant ainsi l'excavation, l'extraction par traction à l'aide d'un câble introduit dans l'ancienne canalisation accompagnée simultanément de son remplacement "place pour place" par un conduit en polyéthylène. Cette dernière possibilité, développée et mise en oeuvre par la Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux sous les appellations respectives "Extractor" et "Extracoupe", évite le creusement d'une tranché. Le coût de cette opération estimé en moyenne à 800 euros par logement est réduit de 40 % par rapport à celui des travaux à tranchée ouverte (~ 1 200 euros). La technique traditionnelle est également génératrice d'un grand nombre de nuisances dues à la lourdeur des opérations de travaux publics nécessaires à son accomplissement : creusement de tranchées, nuisances sonores, interruption de la distribution en eau courante... La réhabilitation des tuyaux anciens constitue une seconde catégorie de techniques envisagées pour lutter contre les effets de la corrosion. Les procédés de gainage tels que "Neofit" mis au point par la société Wavin ou "Microliner" testé au Royaume-Uni, utilisent l'espace intérieur du branchement pour y glisser un tube mince (~ 0,2 mm d'épaisseur une fois en place) en téréphthalate de polyéthylène (PET) alimentaire qui après expansion par injection d'eau chaude sous pression est plaqué contre les parois internes du tuyau [14]. Ce système a l'avantage de réduire les travaux au minimum et de ne pas modifier le branchement en place. En cours de déploiement en France, il connaît déjà un franc succès aux Pays-Bas et en Angleterre. En revanche, le gainage est difficile à mettre en oeuvre dans les réseaux intérieurs en raison des nombreuses ramifications.

La technique dite du "chemisage" représente une alternative explorée en France par la Générale des Eaux. Ce procédé repose sur l'application d'un film de polymère imperméable au plomb sur la surface interne des conduites [15]. Après une phase de nettoyage et décapage des tuyaux, une résine époxy ou un polymère de type latex est injecté sous forme liquide à l'intérieur des canalisations. L'enduisage interne par formation d'un film protecteur est obtenu après réticulation ou séchage. Néanmoins, la qualité d'un tel revêtement n'est pas à ce jour totalement maîtrisée [15].

Les dispositifs de purification individuels au point d'utilisation

Dans l'objectif de délivrer au robinet une eau qui respecte la future norme européenne, sans attendre la rénovation des conduites intérieures des particuliers, diverses sociétés ont mis sur le marché des équipements domestiques tels que des carafes équipées d'une cartouche "anti-plomb" ou des robinets équipés de modules de filtration et/ou d'extraction solide/liquide. Les matériaux proposés pour soustraire le plomb dissous par adsorption de surface ou chimisorption appartiennent à la classe des adsorbants (charbons actifs, oxyde de manganèse, aluminosilicates...) [16].

Références

[1] A. Boireau, J. F. Philippe, P. Matreil, TSM. Tech. Sci. Méthodes, Génie Urbain Génie Rural 2001, 55.

[2] P. Leroy, J. Cordonnier, J. Eur. Hydrol. 1994, 25, 81.

[3] J. Cordonnier, J. P. Barbier, TSM. Tech. Sci. Méthodes, Génie Urbain Génie Rural 1994, 131.

[4] J. Cordonnier, A. Boireau, TSM. Tech. Sci. Méthodes, Génie Urbain Génie Rural 2001, 41.

[5] G. Randon, TSM. Tech. Sci. Méthodes, Génie Urbain Génie Rural 1994, 137.

[6] M. R. Schock, J. - Am. Water Works Assoc. 1980, 72, 695.

[7] M. R. Schock, M. C. Gardels, J. - Am. Water Works Assoc. 1983, 75, 87.

[8] M. R. Schock, I. Wagner, Internal Corrosion of Water Distribution Systems (Editeur: S. Crnkovich), AWWA Research Foundation and DVGW-Forschungstelle Cooperative Research Report, Denver, 1985, p. 213.

[9] M. R. Schock, J. - Am. Water Works Assoc. 1989, 81, 88.

[10] L. L. Harms, J. A. Clement, M. R. Schock, actes du colloque Critical Issues in Water and Wastewater Treatment, National Conference on Environmental Engineering, Boulder, American Society of Civil Engineers, 1994, p. 34.

[11] J. H. Colling, P. A. E. Whincup, C. R. Haynes, J. Inst. Water Environ. Manag. 1987, 1, 263.

[12] J. Delauge, J. L. Cadet, D. Dutheil, D. Grand, TSM. Tech. Sci. Méthodes, Génie Urbain Génie Rural 1994, 156.

[13] P. Magnier, V. Pinson, A. Cadou, TSM. Tech. Sci. Méthodes, Génie Urbain Génie Rural 1994, 152.

[14] A. Boireau, J. F. Philippe, TSM. Tech. Sci. Méthodes, Génie Urbain Génie Rural 2001, 49.

[15] G. R. Boyd, N. K. Tarbet, G. Kirmeyer, B. M. Murphy, R. F. Serpente, M. Zammit, J. - Am. Water Works Assoc. 2001, 93, 74.

[16] M. O. Simonnot, R. Sublet, C. Autugelle, A. Boireau, Techniques de l'Ingénieur, Traité Recherche et Innovation, Techniques de l'Ingénieur, Paris, 2002, Vol. RI, p. IN 7 1.

Autre source d'informations

Un dossier "Plomb dans l'Eau" est consultable sur le site internet http://www.waternunc.com.

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