Présentation

Basée sur la génération d’un gradient de tension interfaciale induit par la lumière (effet chromocapillaire), une nouvelle approche permet de manipuler des gouttes à grande vitesse le long de trajectoires complexes et variées. Ce travail est décrit dans un article paru et illustré en couverture de la revue Angewandte Chemie en novembre 2009 [1].

La lumière : un moteur ?

La lumière a déjà été utilisée pour déplacer des gouttes sur des surfaces solides photosensibles [2] ou grâce à sa capacité à transférer de la chaleur au liquide sur lequel est elle focalisée (appelé effet thermocapillaire [3]). Ces approches ne permettent néanmoins que des déplacements simples ou à faible vitesse (1 à 10 µm.s-1).

C’est en exploitant le fait qu’il est possible de modifier localement la tension de surface d’une interface eau/huile sous excitation lumineuse, qu’une nouvelle approche vient d’être mise au point pour déplacer des gouttes d’huile flottant sur l’eau, avec une vitesse d’environ 300 µm.s-1 le long de trajectoires variées.

Tension interfaciale et interprétation

Il existe des molécules tensioactives dont la queue hydrophobe contient un groupement diazobenzène qui peut s’isomériser en fonction de la longueur d’onde de l’éclairement et voir sa polarité augmenter (éclairement UV) ou diminuer (éclairement bleu). Cette possibilité est décrite Figure 1 avec une molécule appelée AzoTAB.

Photoisomérisation de l'AzoTAB

A ces variations de polarité photoinduites, correspondent des modifications de la tension de surface du liquide dans lequel est dissout le tensioactif photosensible. La tension interfaciale γ sera plus grande sous lumière UV que sous lumière bleue, autrement dit l’énergie associée à l’interface sera plus grande sous lumière UV.

Ainsi, en introduisant l’AzoTAB dans un bain d’eau sur lequel flotte une goutte d’huile (Figure 2a), il est alors possible de créer un gradient de tension interfaciale en illuminant partiellement la goutte avec de la lumière UV et/ou bleue (Figure 2b). Il se trouve que, de façon générale, la création d’un gradient de tension interfaciale induit l’apparition d’un déplacement de liquide tangentiellement à l’interface, vers les tensions de surface les plus grandes.

Exploitation d’une interface eau/huile dont la tension interfaciale est dépendante de la longueur d’onde d’illumination pour déplacer une goutte d’huile flottant sur une solution d’AzoTAB.

a) Schéma du système de photomanipulation. b) Schématisation du principe de l’effet chromocapillaire.

C’est ce qu'on appelle de façon générale un effet Marangoni. Lorsque la goutte est placée sous illumination partielle, ce mouvement interfacial de liquide induit un déplacement de la goutte qui la fait fuir la lumière UV et l’attire vers la lumière bleue (Figure 2b). L’effet Marangoni a été contrôlé ici via un stimulus lumineux. Ce phénomène capillaire qui dépend de la longueur d’onde d’illumination a été baptisé « effet chromocapillaire ».

Superposition d’images extraites d’un film dans lequel une goutte d’huile de 3 mm de diamètre (visible en jaune) est dirigée par le piège optique (halo bleu) le long d’une trajectoire en forme de cœur.

Un mouvement en forme de cœur

La goutte étant animée d’un mouvement dirigé par la longueur d’onde de l’illumination, il est alors possible de la manipuler avec un motif lumineux composé de deux longueurs d’onde. A la manière d’une pince optique macroscopique, la goutte a été piégée au centre d’un disque de lumière bleue (attraction) entouré d’un anneau de lumière UV (répulsion). La goutte peut ainsi être déplacée à volonté à une vitesse de l’ordre de 300 µm.s-1 (Figure 3), ce qui est environ 10 fois plus rapide que les mouvements observés traditionnellement sur des substrats solides photosensibles. Cette nouvelle méthode de conversion directe de l’énergie lumineuse en énergie mécanique ouvre de nouvelles perspectives pour les systèmes photostimulables, le déplacement de liquide en milieu confiné (microfluidique) et la manipulation sans contact d’échantillons fragiles ou dangereux. On pourrait ainsi envisager un protocole de dépollution de déchets organiques en utilisant la lumière.

Bibliographie et ressources en ligne

[1] A. Diguet, R.-M. Guillermic, N. Magome, A. Saint-Jalmes, Y. Chen, K. Yoshikawa and D. Baigl ; Photomanipulation of a droplet by the chromocapillary effect ; Angew. Chem. Int. Ed. 2009, 48, 9281-9284

[2] K. Ichimura, S.-K. Oh and M. Nakagawa ; Light-driven motion of liquids on a photoresponsive surface ; Science 2000, 288, 1624-1626

[3] S. Rybalko, N. Magome and K. Yoshikawa ; Forward and backward laser-guided motion of an oil droplet ; Phys. Rev. E 2004, 70, 046301

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