Le dioxyde de carbone supercritique ou sc-CO2

L’utilisation de fluides supercritiques comme solvants a suscité beaucoup d’intérêt et parmi eux le dioxyde de carbone supercritique est particulièrement attractif.

Non seulement, le point critique du CO2 est très accessible (31 °C et 74 bar), mais sc-CO2 n’est ni toxique à proprement parler (bien qu’à partir d'une certaine concentration dans l'air, ce gaz s'avère dangereux), ni inflammable et naturellement abondant.

La miscibilité de gaz industriellement importants comme H2, CO et O2 dans sc-CO2 renouvelle l’intérêt pour sc-CO2 en tant que solvant dans des réactions auxquels participent ces composés, d’autant plus que sc-CO2 n’a pas de réactivité particulière envers O2. Le sc-CO2 pourrait ainsi être le solvant idéal pour les oxydations utilisant O2.

La faible viscosité et la grande vitesse de diffusion des solutés dans sc-CO2 en font également un bon solvant pour les catalyses hétérogènes.

C’est un solvant non polaire qui a une permittivité relative de 1.1 à 1.5 (en fonction de T et P), non donneur de liaisons-H. A noter également que sc-CO2 peut interagir avec le soluté, notamment comme acide de Lewis. C’est un bon solvant pour des solutés non polaires de petite masse moléculaire ainsi que les gaz mais un mauvais solvant pour la plupart des autres solutés. Son utilisation est donc limitée au niveau industriel à des procédés où son comportement est vraiment avantageux, puisqu’il faut contrebalancer le surcoût financier et énergétique de l’opération à haute pression.

La plus grande application est sans doute l’industrie de l’alimentaire où sc-CO2 est utilisé comme solvant d’extraction.

Il sert entre autres à la décaféination du café : l’utilisation de sc-CO2 remplace un processus mettant en jeu du dichlorométhane, non seulement dangereux pour l’environnement et la santé mais qui nécessite aussi des étapes de synthèse supplémentaires.

La décaféination du café par un fluide supercritique
Auteur(s)/Autrice(s) : Pauline Bacle

Il sert également à l'élimination de la 2,4,6-trichloroanisole (TCA) des bouchons de liège traités au chlore (ou à l'hypochlorite) pour éviter de donner « un goût de bouchon » au vin après sa mise en bouteille.

Eliminer le « goût de bouchon » grâce à sc-CO2
Auteur(s)/Autrice(s) : Pauline Bacle

Le sc-CO2 est aussi un solvant utilisé dans le cadre de réactions de polymérisation : il intervient dans la fabrication du Téflon (ou polytetrafluoroethene, PTFE) par DuPont. Dans ce procédé, il sert à manipuler le monomère en toute sécurité et à empêcher les risques d’explosion liés à la formation de peroxyde en présence d’oxygène. Il remplace un mode opératoire plus ancien basé sur l’eau.

Synthèse du Téflon par DuPont utilisant sc-CO2

C’est un exemple qui montre que même si un procédé établi est vert (utilisation de l'eau en première intention), la recherche ne s’arrête pas là. Le procédé utilisant sc-CO2 produit moins de déchets (le facteur E est plus faible) et propose un produit de meilleure qualité alors que la polymérisation par émulsion d’eau utilise un dérivé d’acide perfluorooctanoique (qui fut lui-même le remplaçant vert d’un procédé encore plus ancien utilisant des solvants chlorofluorocarbones, aujourd’hui interdits). La chimie verte ne s’arrête donc pas à la première substitution.

Les liquides ioniques

Les liquides ioniques sont des sels possédant une température de fusion inférieure à 100 °C et sont, pour beaucoup, à l’état liquide autour de la température ambiante. Ils forment en fait une nouvelle classe de solvants à part entière qui offrent d’intéressantes opportunités comme milieu réactionnel pour une chimie plus propre. Ces sels sont constitués de cations organiques complexés avec des anions inorganiques ou organiques.

Leurs avantages sont multiples :

  • ne pas être volatiles aux conditions ambiantes : il n’y a pas de diffusion dans l’atmosphère et le risque d’exposition est nettement moindre que pour un solvant organique « conventionnel »,
  • non inflammables, ce qui diminue les risques d’accidents,
  • stables à haute température et mécaniquement stables vis-à-vis de l’eau et de l’oxygène.

Les propriétés des liquides ioniques peuvent être contrôlées à l’aide de combinaisons d’anions et de cations adaptés les uns aux autres, permettant ainsi d’obtenir des liquides aux propriétés de polarité et de solubilité différentes. La polarité de la plupart des liquides ioniques se situe entre 9 et 15 c'est-à-dire à peu prés de l’ordre des solvants modérément polaire, mais les liquides ioniques protiques ont montré des valeurs bien plus grandes. Les liquides ioniques constituent globalement de bons solvants pour de nombreux composés organiques et inorganiques.

Les liquides ioniques sont utilisés comme solvant dans de nombreuses réactions dont, en particulier, les cycloaditions de Diers Alder, qui furent parmi les premières étudiées dans ce type de solvant.

Du point de vue industriel, une application majeure est le site BASF SE BASIL (BASIL = Biphasic Acid Scavenging utilizing Ionic Liquids) pour la synthèse de dialkoxy-phenylphosphanes, composés à l’origine des Lucirines® utilisés comme photoinitiateurs UV pour les encres.

Les solvants dérivés de la biomasse

Présentation

L’inquiétude quant à la diminution des ressources de pétrole a conduit les chercheurs à se tourner vers la biomasse comme source de composés chimiques et de carburants au sein d'une industrie bio-inspirée.

De fait, la plupart des solvants actuellement utilisés peuvent être synthétisés à partir de la biomasse. Cependant, le caractère vert d’un solvant ne change pas, qu’il soit issu de la biomasse ou non. En revanche certains liquides pourraient devenir des solvants de grande importance pour la chimie verte.

Le glycérol

Le glycérol est un sous produit de la synthèse du biodiesel. Renouvelable, biodégradable et non toxique, c’est un solvant donneur de liaison hydrogène, de permittivité relative 42.5 qui a une pression de vapeur relativement faible et une température d’ébullition élevé (290 °C). En revanche, il est plus visqueux que la plupart des solvants classiques.

Plusieurs réactions ont été menées dans le glycérol pur (substitution nucléophile, réduction, couplage carbone-carbone de Heck et Suzuki pallado-catalysées, etc...) avec des rendements comparables aux autres solvants mais sans réelles améliorations. Une méthode de réaction « sur glycérol », analogue à la méthode de réactions « sur l’eau » a également été proposée.

Les esters d'acides gras

La production de biodiesel, obtenu par transesterification d’huiles végétales, a considérablement augmenté. Or, le biodiesel est composé de méthyl- ou éthyl- esters d’acides gras dont la chaine carbonée peut varier en fonction de l’origine.

Biodégradables, non toxiques, ces esters d'acides gras pourraient constituer des solvants potentiels notamment pour faciliter le nettoyage des déversements de pétrole dans l’environnement.

Les méthylesters d’acides gras (ou FAME) issu de l’huile de colza ont été utilisés comme solvant dans des réactions de polymérisation du styrène, du méthacrylate de méthyle, de l’acrylate de butyle et de l’acétate de vinyle. Les polymérisations au sein des FAME conduisent à de bons rendements mais à des masses moléculaires plus faibles que dans des solvants « classiques ». La polymérisation est sensible à la composition précise des FAMES : la vitesse de réaction est bien plus faible pour les FAME issus de l’huile de soja, par exemple.

Le limonène

Le limonène est un terpène cyclique chiral ; l’énantiomère dextrogyre, le D-limonène est extrait de la peau du citron. Largement utilisé comme fragrance et comme agent de nettoyage, il est classé comme un Composé Organique Volatil (COV) mais ne contribue pas à la destruction de la couche d’ozone, à cause de son oxydation rapide par CO2 et H2O.

Le D-limonène extrait du citron
Auteur(s)/Autrice(s) : Pauline Bacle

Le D-limonène est biodégradable, non polaire et pourrait être utilisé comme remplacement des alcanes dans l’extraction des huiles comestibles ou comme solvant pour recycler le polystyrène expansé en fibres. Il est aussi utilisé à la place du toluène comme solvant lors de la polymérisation du polypropylène isotactique et conduit à une meilleure stéréospécificité. Cependant la réactivité des doubles liaisons C=C du D-limonène pourrait être un facteur limitant dans son utilisation comme solvant.

Conclusion

L’utilisation des solvants dans les processus chimiques est une source d’inquiétude constante vis-à-vis de la santé publique et de l’environnement.

La conception et le développement de solvants verts et de processus adaptés constituent donc un domaine de recherche actif. De nombreux liquides, dont beaucoup issus de la biomasse, sont à l’essai mais le manque de recherche systématique sur ces solvants potentiels est très net et plusieurs études s’arrêtent à quelques publications. Cela ne suffit pas à prédire s’ils pourront remplacer les solvants actuellement utilisés.

Ceci dit, le besoin d’une chimie plus propre est pleinement reconnu et les solvants verts sont peu à peu intégrés dans le processus normal de développement de composés et de processus chimiques, même si, dans la mesure du possible, le meilleur solvant d’un point de vue écologique reste sans doute l’absence de solvant.

Bibliographie et Ressources en Ligne

[1] Introduction à la chimie verte

[2] J.H. Clark , S.J. Tavener, Org. Process Res. Dev., 11, 149 (2007).

[3] Les concepts de la chimie verte : utilisation atomique et facteur E

[4] C. Reichardt, T. Welton, Solvents and Solvent Effects in Organic Chemistry, 4th Ed., Wiley-VCH.

[5] Solvants et chimie verte 1/3 : Les solvants en chimie organique

[6] Solvants et chimie verte 2/3 : L'eau, un solvant vert ?

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