La filière textile est l’une des plus touchées par la contrefaçon. L’authentification des produits devient un élément essentiel pour contribuer à une protection juridique efficace. Il peut être important pour un donneur d’ordres de prévenir les risques de substitution de son produit en marquant si possible la matière.
Introduction
La lutte contre la contrefaçon a représenté en 2004 un montant de 500 Mrds $/an, soit 7 à 9 % du commerce mondial, avec une croissance de 400 % en dix ans. Les vêtements et accessoires représentent 51,5 % de ce volume, alors que les CD, DVD et cassettes ne représentent que 20,7 %, les montres et bijoux 8 %, le parfum-cosmétique 1 %. Les grands pays contrefacteurs sont principalement la Chine (58 %), l’Afrique du Sud (7 %) et la Russie (6 %).
Il peut être important pour un donneur d’ordres de prévenir les risques de substitution de son produit en marquant si possible la matière. Cette situation est une réalité pour l’amont de la filière, pour le règlement des litiges. Dans tous ces cas, la traçabilité des produits en termes d’identification est un besoin réel, tant pour le fil, la fibre ou les produits semi-finis.
Marqueurs de traçabilité chimique
Terres Rares
Les terres rares représentent le groupe des lanthanides (éléments de numéros atomiques compris entre 57 et 71, du lanthane au lutétium), auquel s’ajoutent l’yttrium et le scandium, du fait de propriétés chimiques voisines (même colonne de la classification périodique). On distingue les terres cériques (lanthane, cérium, praséodyme et néodyme) des terres yttriques (les autres terres rares).
Malgré leur nom, les éléments constituant les terres rares ne sont pas rares. Le plus abondant, le cérium, est plus répandu dans l’écorce terrestre que le cuivre ; le plus rare, le thulium, est quatre fois plus abondant que l’argent. On exprime en général les teneurs de ces éléments sous forme d’oxydes.
Ces minéraux, aux propriétés physiques et chimiques très diverses (luminescence, magnétisme, coloration), sont utilisés dans diverses applications, tels les tubes fluorescents d’éclairage. Leur présence dans un matériau textile composé de fibres naturelles ou synthétiques ne peut être fortuite, ce qui permet de les utiliser comme marqueurs chimiques. Une formulation de quelques-uns de ces éléments dans des concentrations variables constitue un codage. Ils peuvent être détectés selon les cas par fluorescence X ou par magnétisme.
Les plus inertes chimiquement peuvent être introduits dans les formules d’ennoblissement par exemple ou être inclus au moment du filage des fibres synthétiques.
ADN de synthèse
L’ADN est constitué de répétitions de nucléotides formés d’un groupe phosphate lié à un sucre, le désoxyribose, et à une base azotée (A, T, C ou G) (figure 1). Le squelette est formé de la répétition sucre-phosphate, ce qui change étant la base.
Figure 1. Structure de l’ADN.
L’ADN de synthèse, utilisé comme marqueur commercialisé (par exemple par Tracetag®), est composé de vingt séquences AGTC, ce qui offre 420 possibilités.
Un ADN de synthèse composé d’un monobrin de quelques dizaines d’éléments acides nucléiques, dont l’enchaînement constitue un codage, offre une infinité de combinaisons possibles. Le décodage, effectué en laboratoire, consiste à « détricoter » cet enchaînement et à identifier les éléments un à un, sous réserve de connaître la « clé » constituée du début de la combinaison (figure 2).
Figure 2. L’ADN de synthèse peut être utilisé comme marqueur. Sa lecture se fait en décodant sa séquence d’acides nucléiques.
Ce marqueur invisible s’utilise en quantités très faibles et c’est l’un des rares marqueurs de troisième niveau apte au marquage pleine matière (utilisation en combinaison avec les formulations d’ennoblissement ou en traitement de finissage).
Les recherches actuelles se tournent vers l’utilisation d’ADN d’origine naturelle, extrait des plantes, apte à une identification analogue à celle utilisée pour détecter la présence d’OGM, et qui bénéficie des avancées dans ce domaine (utilisation de nanocapteurs électroniques par exemple).
Marqueurs thermochromes et photochromes
Le thermochromisme et le photochromisme sont les propriétés qu’ont certains colorants à changer de couleur sous l’action de la chaleur et/ou de la lumière (voir exemples figure 3).
Figure 3. Exemples de substances photochromes et thermochromes.
Il existe des systèmes, réversibles ou irréversibles, qui passent d’un état incolore à coloré ou inversement, ou d’une couleur à une autre. Certains effets spéciaux peuvent être obtenus par combinaison avec des pigments ou colorants traditionnels, en mélange, surimpression ou juxtaposition. Ils peuvent par exemple être utilisés comme des pigments traditionnels et imprimés sur textile selon la technique d’impression pigmentaire.
De nombreux systèmes, utilisés principalement dans le domaine du papier fiduciaire, peuvent être aussi utilisés pour des applications textiles, notamment en habillement, en utilisant des fils et fibres fluorescents, magnétiques ou conducteurs, marqueurs « multisensibles » combinant plusieurs effets tels que la luminescence de mélanges permettant de personnaliser la longueur d’onde d’absorption (figure 4).
Figure 4. Les applications des colorants thermochromes et photochromes dans les textiles sont nombreuses : habillements fluorescents ou magnétiques, marqueurs, etc.
Le mode d’action basé sur une réaction photo- ou thermochimique, réversible ou irréversible, est sensible à l’environnement (présence d’eau, d’impuretés diverses qui peuvent perturber la réaction). C’est pourquoi ces produits sont généralement encapsulés, les microcapsules étant ensuite formulées dans une pâte d’impression ou d’enduction par exemple, ou incorporées dans la masse. Dans tous les cas, un phénomène de « fatigue » intervient qui limite la durée de vie de ces composés (nombre de cycles limité).
Marquage par luminescence
La luminescence est le phénomène selon lequel la matière émet de la lumière (et non pas change de couleur) après avoir absorbé de l’énergie, sous une forme ou une autre. On peut citer : la photoluminescence (absorption de lumière), la radioluminescence (source radioactive), l’électroluminescence (champ électrique), la chemiluminescence (réaction chimique – oxydation du phosphore par ex.), la bioluminescence (dérivée de la chemiluminescence), la thermoluminescence (source de chaleur), la triboluminescence (forces de friction), la cathodoluminescence (faisceau électronique – écrans cathodiques par ex.).
La photoluminescence regroupe les phénomènes de phosphorescence et de fluorescence. En photoluminescence, la longueur d’onde réémise est toujours plus grande que celle absorbée en raison du rendement non quantitatif du transfert d’électrons (figure 5). La longueur d’onde réémise peut se situer dans l’infrarouge : des marqueurs de traçabilité basés sur ce principe ont été commercialisés (codes-barres infrarouge avec détecteur spécial type douchette).
Figure 5. Phénomènes de phosphorescence et de fluorescence.
Fluorescence
La fluorescence est la photoluminescence intervenant moins d’un 10 000ème de seconde après l’absorption. Les produits fluorescents sont des pigments organiques comme la fluorescine, la pyranine, etc...
Les dérivés sont porteurs de groupements fonctionnels électro-donneurs qui augmentent la fluorescence (OH, NH2, NH2-Me, R, Ar...) ou électro-attracteurs qui la diminuent (NO2, CO2H, Cl, Br, I...).
Phosphorescence
La phosphorescence est la photoluminescence intervenant sur une période longue (jusqu’à plusieurs heures après), grâce au stockage de l’énergie par inversion de spin ou transfert électronique. Les produits phosphorescents sont soit des pigments organiques à durée de vie limitée (organophosphorés), soit des pigments minéraux plus stables mais moins efficaces (sulfures de zinc, cadmium, strontium, calcium...). Des mélanges de produits phosphorescents conduisent selon la formulation à une longueur d’onde émise spécifique. Des systèmes de marquage de traçabilité sont basés sur cette possibilité (personnalisation possible) (figure 6).
Figure 6. Exemple de couleurs d’émission. Taille des particules (pigments commerciaux) : 6, 8, 15, 20 μm.
De même, des fils photoluminescents ont été utilisés comme couture pour passeports par exemple, ou encore des fibres sont incorporées préalablement dans la pâte à papier servant à fabriquer les documents fiduciaires (source : Arjo-Wiggins et Banque de France).
Mise en oeuvre
Tous ces marqueurs peuvent être soit incorporés directement dans une formulation d’encre, d’apprêt textile, de pâte d’impression, ou encore dans l’huile d’ensimage ou d’encollage, par impression, enduction, pulvérisation, imprégnation, etc., ou après microencapsulation, afin de les isoler des interactions chimiques avec les composants de l’encre. Un apprêt réticulant (enduction, impression) permettra de fixer le marqueur en surface de la fibre ou de la surface textile.
Dans le cas des fibres synthétiques, l’incorporation du marqueur peut se faire au moment de la fabrication de la fibre elle-même, selon plusieurs manières :
- Par extrusion-filage voie fondue (figure 7) : le marqueur peut être incorporé dans la matière par compoundage préalable (production de granulés fonctionnalisés par le marqueur), ou directement au filage selon la nature chimique du marqueur qui doit résister aux conditions de température et de pression (ex : terres rares, minéraux luminescents...). Une faible quantité de marqueur étant généralement suffisante, celui-ci ne perturbe pas les paramètres de production ou les propriétés finales du fil.
Figure 7. Extrusion-filage voie fondue.
- Par extrusion-filage voie solvant : dans ce cas, la température étant beaucoup plus basse, les marqueurs de type organique peuvent être utilisés (ex : ADN de synthèse). Ils peuvent être introduits dans le collodion au niveau du réacteur de dissolution, par « collage » en surface du fil extrudé dans le bain de coagulation, par réaction chimique dans le bain de coagulation ou de rinçage (figure 8).
Figure 8. Extrusion-filage voie solvant.
Conclusion
De nombreuses solutions commerciales de marquage de traçabilité applicables aux fibres, surfaces textiles et articles confectionnés existent pour les cas simples. Des études de mise au point pour les applications textiles restent nécessaires dans certains cas, particulièrement pour le marquage pleine matière.
Cependant, le marquage n’est qu’un outil dont le choix doit pouvoir répondre à la problématique concernée, et l’utilisateur doit avant tout bien poser le problème : quel est l’objectif ? S’agit-il de traçabilité physique et logistique ou de traçabilité des données ? Traçabilité interne ou externe ?
Par suite, un cahier des charges précis doit être établi, déterminant clairement quel est le flux d’information, son volume et sa variabilité, à associer au flux de marchandises, et quelles sont les contraintes techniques et logistiques. Répondre à toutes ces questions permet ensuite de déterminer la technique de marquage applicable sur un support donné à une étape de la chaîne logistique donnée.
Ressources en ligne
[1] Marquage ADN de synthèse : www.tracetag.com
[2] Marquage des fibres : www.hillsinc.net
[3] Marqueurs à base de microparticules minérales : www.microtag-temed.com