Les carbènes sont des espèces chimiques organiques dont un atome de carbone possède seulement 6 électrons de valence au lieu des 8 dans sa forme stable prédite par la célèbre règle de l’octet1. Ce défaut d’électrons rend les carbènes très instables et donc ultra-réactifs. Pour cette raison, ils ont longtemps été considérés comme des intermédiaires réactionnels fugaces, curiosités de laboratoires faisant uniquement l’objet d’études très fondamentales. Depuis que les équipes de Guy Bertrand et Anthony Arduengo ont isolé les premiers carbènes stables, ces espèces ont connu des développements considérables. Elles sont en particulier devenues incontournables en chimie de synthèse, précisément en raison de leur réactivité singulière. Les carbènes se comportent aussi comme des catalyseurs organiques à part entière, aussi bien en synthèse moléculaire qu’en chimie des polymères.

Les chimistes de l’équipe de Guy Bertrand au laboratoire international du CNRS « Joint Research Laboratory » (Department of Chemistry and Biochemistry, University of California - San Diego) viennent de franchir un nouveau pas en isolant le tout premier composé stable dans lequel on ne compte plus que 4 électrons de valence sur le carbone. Pour réussir cette première, les chimistes ont introduit des substituants volumineux en périphérie du carbène afin de stabiliser électroniquement cette espèce autrement instable. Cette stratégie a également rendu possible sa caractérisation par cristallographie des rayons X, fournissant apportant la preuve de cet état de valence atypique.

En étudiant sa réactivité, ils ont également pu mettre à jour sa forte acidité de Lewis attribuable à la double oxydation du carbone carbénique. Une découverte publiée dans la revue Nature, qui, si elle met à mal un des fondements de la chimie organique, devrait ouvrir des nouvelles perspectives en terme de catalyse.

 

Référence
Ying Kai Loh, Mohand Melaimi , Milan Gembicky, Dominik Munz & Guy Bertrand
A crystalline doubly oxidized carbene
Nature 2023

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