Introduction

Vitamines, boissons allégées, certains sirops pour la toux…. Tous un point commun : l’aspartame. Cette utilisation généralisée a conduit à la grande médiatisation d’un sujet où les données scientifiques se mêlent parfois à la désinformation.

Nous proposons ainsi de donner une vue d’ensemble des connaissances actuelles au sujet de l’aspartame.

Bref Historique

Bref historique de l'aspartame

L’aspartame suscite une vive polémique depuis son autorisation de mise sur le marché en 1974. En effet, des laboratoires accusent la Food and Drug Administration (FDA) de s’être basée uniquement sur les études scientifiquement critiquées menées par Searle, l’entreprise ayant découvert l’édulcorant. On a souvent pointé du doigt la présence du PDG de Searle au sein de Maison Blanche au moment de la première autorisation de la FDA. De manière plus générale, c’est le lien entre industrie et administrations sanitaires qui revient constamment au cœur du débat, la plupart des études sur le sujet ayant été financées par les industriels.

Quand J.W. Olney publie en 1996 un article accusant l’aspartame d’être à l’origine de l’augmentation des tumeurs au cerveau aux Etats-Unis, il remet en cause l’innocuité d’un produit alimentaire quotidiennement utilisé. La polémique est rapidement devenue un phénomène médiatique conduisant à une désinformation conséquente. Ainsi, l’aspartame est parfois accusé de tous les maux sous prétexte de manque de données scientifiques.

Soda contenant de l'aspartame

Suite à ce débat, les autorités sanitaires de nombreux pays ont procédé à de nouvelles études publiques et en ont informé les consommateurs. Ainsi, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) a lancé une réévaluation complète des risques sanitaires liés à l’aspartame le 8 janvier 2013.

Le résultat de cette nouvelle étude, publié en décembre 2013, permet à l’EFSA de conclure que « L’aspartame et ses produits de dégradation sont sûrs pour la consommation humaine aux niveaux actuels d’exposition ».

L’aspartame, avant d’être un sujet politique, est un composé chimique.

Aspartame, la molécule chimique

Aspect chimique

L'aspartame, ou L-Asp-L-Phe-OMe, est un dipeptide dérivant de deux acides aminés, l'acide L-aspartique et l'ester méthylique de la L-phénylalanine.

Caractéristiques physico-chimiques de l'aspartame

L’aspartame est très stable à l’état sec jusqu’à des températures d’environ de 120 °C. En revanche, en milieu hydraté, l’édulcorant se dégrade à partir d’environ 40 °C, le rendant inutilisable dans les aliments chauffés.  L’aspartame se dégrade principalement en dicétopipérazine, dénué de pouvoir sucrant. 

À température ambiante, sa stabilité est bonne entre un pH  de 3,4 à 5 . Aux pH inférieurs à 3,4, le dipeptide est hydrolysé et, pour des pH supérieurs à 5, il se produit une cyclisation en dicétopipérazine.

Synthèse de l'aspartame

Il existe trois synthèses permettant d’obtenir l’aspartame.

La première est la plus ancienne et correspond à une synthèse chimique. Elle utilise comme réactifs de départ l’acide aspartique et la phénylalanine. Cette voie de synthèse offre un rendement faible, de l’ordre de 50 % et est à l’origine d’un isomère possédant un goût amer (qui doit par la suite être extrait). C’est pourquoi elle a vite été remplacée par la synthèse enzymatique. Cette dernière met en jeu comme catalyseur une enzyme, la thermolysine, dans des conditions expérimentales précises à une température de 37 °C et un pH de 7,5, et offre un rendement de 95 %. Ce rendement est bien meilleur, mais toujours pas suffisant pour les industriels.

Synthèse de l'aspartame

Une autre voie de synthèse a alors été mise en place : la synthèse biotechnologique. C’est celle qui est utilisée aujourd’hui, elle offre un rendement supérieur à 99.99 %. Elle utilise toujours la thermolysine comme enzyme, mais réutilise un des produits.

L'origine du pouvoir sucrant de l'aspartame

Il est l’édulcorant artificiel le plus proche du sucre naturel en termes de goût, sans posséder le goût métallique et amer qu’ont beaucoup d’autres sucres artificiels. À quoi sont dues ces différences de qualité gustative ?

Il est actuellement impossible de prédire les caractéristiques du goût de l’aspartame ou de tout autre édulcorant à partir de la structure chimique : le goût d’un dipeptide ne peut pas être prédit à partir du goût des acides aminés le composant. Par exemple, l’acide (L)-aspartique est fade, amer et aigre, la (L)-phénylalanine est amère, tandis que l’aspartame, qui contient ces deux groupements, est sucré.

Ce sont les mêmes récepteurs sensoriels qui reconnaissent l’aspartame et le sucre naturel (fructose et glucose). En effet, les cellules sensorielles, ou bourgeon du goût, sont situées sur la langue. La molécule d’aspartame ou de fructose, en se fixant sur ces récepteurs gustatifs, crée un stimulus, une réponse nerveuse, transmise au cerveau par des signaux électriques. Le cerveau traduit ensuite ces signaux électriques en sensation sucrée, identique dans le cas de l’aspartame ou du fructose. Shallenberger et Acree ont proposé un modèle pour la reconnaissance de ces sites. D’après leurs études, une condition nécessaire pour obtenir une saveur sucrée serait la présence d’une paire de liaisons hydrogène séparées de 3 Å. La molécule stimulatrice (ici molécule d’aspartame ou de fructose) de type AH-B, avec A et B des atomes électronégatifs, interagit avec un site de type AH-B complémentaire situé dans la membrane du récepteur de goût pour former simultanément deux liaisons hydrogènes.

Les différences de qualité gustative entre aspartame et d’autres édulcorants s’expliquent en partie par le fait que les sites de réception diffèrent d’un édulcorant à l’autre. On estime que le type et le nombre de systèmes AH-B dans la molécule ont une influence sur ses propriétés gustatives, en particulier en termes de seuil de détection.

Aspects biochimiques : métabolisation de l'aspartame

Après ingestion, l’aspartame est complètement dégradé en ses trois composants lors de son transit depuis l’intestin grêle jusqu’au système circulatoire sanguin. La molécule est directement séparée en méthanol et aspartyl-phénylalanine par des estérases intestinales. La séparation en L-aspartate et L-phénylalanine s’effectue ensuite dans les parois de l’intestin grêle par l’action de peptidases. Chaque composant suit alors sa propre voie de métabolisation.

Aspartate

Métabolisation de l'aspartate

L’aspartate suit des voies de métabolisation similaires à celles du glutamate (neurotransmetteur très largement répandu dans le système nerveux). Ces acides aminés sont particulièrement abondants dans le foie et le cerveau, où ils représentent 25 à 30 % de l’ensemble des acides aminés libres. Ils sont également présents de 20 à 25 % dans la composition des protéines présentes dans l’alimentation. L’apport d’aspartate par l’aspartame reste donc très faible par rapport aux autres aliments qui constituent le régime alimentaire standard. Les réactions subies par ces acides s’effectuent dans le cytoplasme et les mitochondries des cellules.

Réactions intervenant dans la métabolisation de l'aspartate

Le mécanisme de transport de l’aspartate à travers la barrière hémato-encéphalique limite son accumulation au niveau du cerveau en le re-transportant dans le sang. Il est principalement éliminé par voie pulmonaire (oxydation en CO2). L’augmentation du taux plasmatique d’acide aspartique dû à l’ingestion d’aspartame n’est significative qu’à doses très importantes, bien au-delà des doses usuellement ingérées.

Phénylalanine

Métabolisation de la phénylalanine

La phénylalanine est un acide aminé aromatique indispensable dans l’alimentation des mammifères qui ne peuvent le synthétiser. Il est principalement transformé en tyrosine (seul autre acide aminé aromatique) de manière irréversible dans le foie. C’est un mauvais codage génétique de l’enzyme effectuant cette réaction qui conduit à la maladie de phénylcétonurie, responsable d’une arriération mentale des malades due à la métabolisation difficile de la phénylalanine. Cela oblige les industriels à indiquer la présence d’aspartame dans leurs produits en tant que source de phénylalanine. La tyrosine est un précurseur direct de neurotransmetteurs (catécholamine, dopamine, noradrénaline), d’hormones dans la glande surrénale (adrénaline) ainsi que de la mélanine et l’ubiquinone. Une voie mineure de métabolisation, qui n’intervient de manière importante qu’en cas d’excès de phénylalanine ou de phénylcétonurie est la transformation en acide phénylacétique.

Voie mineure de métabolisation de la phénylalanine

D’après certains chercheurs, la phénylalanine provenant de l’aspartame traverse la barrière hémato-encéphalique par un mécanisme différent de celui suivi par la phénylalanine provenant des protéines alimentaires usuelles, pouvant induire une toxicité au niveau du cerveau. Les doses susceptibles de produire de tels effets sur le cerveau restent néanmoins bien supérieures à celles générées par la consommation habituelle d’aspartame.

Méthanol

Effet du méthanol du l'organisme

Le méthanol est un composé particulièrement toxique, absorbé rapidement dans l’intestin et très lent à s’éliminer. Son absorption et sa distribution dans l’organisme sont similaires à celles de l’éthanol. Il est métabolisé dans le foie avant d’être envoyé dans l’organisme sous trois formes plus ou moins oxydées : méthanol, formaldéhyde et acide formique. La lenteur de la réaction d’oxydation en CO2 laisse le temps au formaldéhyde et à l’acide formique de réagir dans l’organisme. Il s’agit en effet de composés très réactifs avec les protéines et les acides aminés, qui forment facilement des adduits stables, en particulier avec l’ADN, ce qui conduit certains chercheurs à penser que leur accumulation puisse être source de cancérogenèse ou d’autres problèmes de toxicité à long terme.

Métabolisation du méthanol

La toxicité de ces composés provient néanmoins principalement de la modification du pH plasmatique due à la présence d’acide formique dans le sang (chez l’homme le pH sanguin doit être maintenu à 7,40 +- 0,02) et de l’atrophie du nerf optique par action de l’acide formique (qui conduit à la cécité pour des intoxications conséquentes).

Toxicologie

Deux effets nocifs potentiels de l’aspartame ont été largement discutés dans la communauté scientifique : la possibilité que l’aspartame soit cancérigène (notamment pour le cerveau), et qu’il puisse provoquer des crises d’épilepsie.

Cancérogénèse de l'aspartame

Des résultats sur l’animal de laboratoire

Au tout début de l’existence de l’aspartame, les résultats des deux premières études de cancérogenèse réalisées sur des rats ont été largement discutés par la communauté scientifique et les instances réglementaires (FDA).

Depuis, des tests réputés plus fiables se sont multipliés. D’après un rapport de l’Agence Française de Sécurité Alimentaire des Aliments (AFSSA) paru en mai 2002, l’ensemble des études de cancérogenèse menées jusqu’alors chez les rongeurs n’indique pas de relation entre un traitement par l’aspartame et l’apparition de tumeurs du cerveau.

Mais qu’en est-il pour l’homme ?

En 1996, Olney et al. publient un article sur une relation possible entre l'augmentation de la fréquence des tumeurs du cerveau chez l'homme et la consommation d’aspartame aux Etats-Unis. En se fondant sur les données du National Cancer Institute (10 % de la population) dans la période 1975 à 1992, les auteurs concluent à une augmentation significative de la fréquence des tumeurs du cerveau au milieu des années 1980, période suivant la mise sur le marché de l'aspartame.

Néanmoins les conclusions de cette étude épidémiologique ont été critiquées par de nombreux scientifiques mettant en cause la méthodologie, l'utilisation des données et leur interprétation.

Aujourd’hui encore il est difficile d’imputer à l’aspartame la seule responsabilité d’une éventuelle augmentation des tumeurs cérébrales en ne se basant que sur des études épidémiologiques. Elles fournissent malheureusement des preuves scientifiques trop faibles pour être sûr du rôle joué par l’aspartame.

Relation entre crise d'épilepsie chez l'animal et chez l'homme

Des études scientifiques et des plaintes de consommateurs…

Parmi les effets secondaires possibles de l’aspartame, les convulsions ont retenu l’attention de chercheurs. En effet, outre les plaintes de consommateurs aussi diverses que variées (allant de l’insomnie à la mortalité…) recueillies aux Etats-Unis, notamment par le SpecialNutritionals Adverse Event Monitoring System (SN/AEMS), quelques études plus sérieuses suggèrent une relation entre la consommation de doses élevées d’aspartame et le déclenchement de crises d’épilepsie.

  • Walton et al. (1993) rapportent, dans une étude réalisée chez 13 malades atteints de dépression, que l’administration de 30 mg/kg/j d’aspartame pendant 7 jours a provoquée chez ces patients des effets secondaires préoccupants qui ont amené les auteurs à conclure que l’emploi de cet édulcorant devait être évité chez les patients dépressifs.
  • Wurtman en 1985 indique que l’administration d’aspartame pourrait affecter la synthèse de catécholamines ou de sérotonine, par le biais d’une augmentation de l’absorption de phénylalanine dans le cerveau, et ainsi provoquer des convulsions. Il s’appuie sur trois exemples de gros consommateurs de boissons sans sucre et sur des études expérimentales sur animaux, montrant que la consommation d’aspartame diminuerait le seuil de sensibilité aux convulsions induites chimiquement.
  • Enfin, Camfield et al. (1992) ont montré que l’aspartame pouvait augmenter la durée d’un certain type de crises d’épilepsie chez des enfants.

…qui ne satisfont pas une majeure partie de la communauté scientifique

Mais ces relations causales entre aspartame et crises d’épilepsie ont été réfutées par de nombreux scientifiques qui se fondaient sur des études expérimentales réalisées sur les animaux de laboratoire et sur des études cliniques ou de tolérance chez l’homme. À un tel point que certains chercheurs ont même constaté qu’une haute dose d’aspartame diminuait l’agressivité des rats via un mécanisme sérotoninergique tandis qu’une faible dose restait sans effet.

Conclusion

Si la réévaluation récente et voulue exhaustive des risques sanitaires liés à l’aspartame menée par l’EFSA conclut qu’il n’existe pas de dangers aux doses d’expositions habituelles. Cependant, comme pour de nombreux composés il existe un risque à hautes doses.

Pour tous ceux qui se méfient toujours de l’aspartame, il existe des alternatives dites « naturelles » : le Stévia ou encore le miel peuvent, chacun à leur manière, servir d’agents sucrants.

Néanmoins le caractère « naturel » d’un composé n’est pas gage de son innocuité. Entre autres, la caféine peut par exemple provoquer une accélération du rythme cardiaque, une vasodilatation, ou encore des effets nocifs sur le système cardiovasculaire, respiratoire, ou encore gastro-intestinal ; nous la consommons pourtant quotidiennement.

Bibliographie et Ressources en Ligne

  1. Rapport de l’Agence française de Sécurité Sanitaire des Aliments sur la question d’un éventuel lien entre exposition à l’aspartame et tumeurs du cerveau
  2. European Food Safety Authority (EFSA)
  3. Structure-Taste Relationships of Some Dipeptides, Robert H.Mazur, James M.Schlatter, and Arthur H.Goldkamp, Journal of the American Chemical Society, 2684 (1969).
  4. A convenient Synthesis of Aspartame, Gunnar Lindeberg, Journal of Chemical Education, 64, 1062 (1987).
  5. Aspartame physiology and biochemistry,edited by Lewis D. Stegink, L J Filer, Jr 1984.
  6. Rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) sur la question d’un événtuel lien entre exposition à l’aspartame et tumeurs au cerveau, 7 mai 2002, Martin Hirsch.