Deuxième opus du dossier consacré à la cristallographie, cet article traite des conséquences de la symétrie des cristaux.
Conséquences macroscopiques de la symétrie des cristaux
Les cristaux sont certes remarquables pour leur ordre microscopique, mais ce qui fascinait vraiment autrefois, et qui fascine toujours, ce sont les formes sous lesquelles on trouve les cristaux (Figure 1). Des figures géométriques précises, avec des faces bien nettes, des arêtes et des sommets bien définis, sans qu’il y ait la moindre intervention humaine dans ce déterminisme.
Cette précision ne doit rien au hasard. En effet, si un cristal croît tranquillement, sans dérangement, il aura tendance à privilégier certaines directions de croissance parmi d’autres (souvent les directions où les liaisons sont les plus fortes) et à compléter les plans les plus compacts, entraînant l’apparition de faces, qui ne sont rien d’autres que des plans réticulaires.
Comme ces faces sont un reflet de la symétrie interne, l’étude de leur agencement, notamment des angles entre les faces, est donc une manière de visualiser les symétries pouvant exister au sein d’un cristal.
La symétrie du cristal complet
Les cristaux hautement symétriques sont les exemples les plus remarquables.
La pyrite, FeS2 (Figure 2), est un minéral réputé des collectionneurs pour son éclat métallique, voire légèrement jaunâtre en présence de cuivre (on a pu confondre la chalcopyrite avec l’or, d’où son surnom d’or des fous), et ses formes géométriques très particulières. En effet, la pyrite à l’état naturel, bien cristallisée, existe sous trois formes, en fonction des conditions de sa croissance : le cube, l’octaèdre, le dodécaèdre (Figures 3 et 4) 3 solides de Platon sur 5 !
Les cristaux peuvent aussi avoir d’autres propriétés inhabituelles, qui sont intimement liées à la symétrie de leur structure.
La Biréfringence
Dans un cristal cubique, les axes 3 le long des diagonales du cube font que les axes x, y et z sont équivalents. Le cristal est alors isotrope. De ce fait, tous les cristaux non-cubiques sont anisotropes. Dans un cristal anisotrope, la vitesse de propagation de la lumière, donc l’indice de réfraction du milieu, dépend a priori de sa direction de polarisation. Ce phénomène est appelé biréfringence. Il provoque l’apparition de couleurs lors de l’observation d’une lame mince au microscope polarisant, et le dédoublement d’une image vue au travers d’un cristal biréfringent.
Explication :
1) Dans un cristal biréfringent, comme la calcite (Figure 7), un axe cristallographique au moins se distingue, axe qu’on appelle axe principal ou axe optique. Un rayon polarisé selon cette direction sera donc affecté par un indice de réfraction « extraordinaire », noté ne, et traversera le cristal à une vitesse ve, tandis qu’un rayon polarisé orthogonalement à cet axe principal ressentira un indice de réfraction « ordinaire », noté no, et traversera le cristal à une vitesse vo différente. La lumière naturelle n’est pas polarisée : on peut la décrire comme une superposition de toutes les polarisations linéaires.
Chaque polarisation linéaire peut être également caractérisée par deux composantes : la composante « e », projection de la polarisation linéaire considérée sur l'axe optique du cristal, et une composante « o » orthogonale à la composante « e ». Les raies polarisées suivant o subissent un indice de réfraction différent des raies polarisées selon e, elles se propagent donc à des vitesses différentes : les deux raies se séparent, l’image est dédoublée. L’une de ces images est polarisée selon e, l’autre l’est selon o.
Notons que si l’on oriente le cristal de sorte que la direction de propagation coïncide avec l’axe optique, le rayon considéré est polarisé totalement orthogonalement, et l’on ne voit qu’une seule image au travers du cristal : tout se passe comme s’il n’était pas biréfringent, comme s’il s’agissait d’un cristal ordinaire.
Note : En réalité, les lois de Descartes ne sont plus totalement vérifiées dans ce cas. Même en incidence normale, les images sont dédoublées.
2) Une lumière polarisée linéairement peut aussi être vue comme la somme de deux polarisations circulaires, une « droite » et une « gauche ». Les polarisations circulaires « droite » et « gauche » ont des vitesses de propagation différentes, les deux ondes se déphasent en traversant le cristal, et étant déphasées, elles interférent. Les interférences sont destructives pour certaines couleurs, constructives pour d’autres, il en résulte une coloration apparente du cristal (Figure 8).
Pyroélectricité et piézoélectricité
Dans une maille, comme dans une molécule, on peut chercher à localiser le barycentre des charges positives et négatives, et vérifier s’ils sont confondus ou non, c’est-à-dire si la maille possède ou non un moment dipolaire.
Certains groupes ponctuels, dits polaires (exemple Figure 9), c’est-à-dire présentant au moins une direction invariante par les opérations de symétrie du groupe (les opérations de symétrie du groupe renvoient cette direction sur elle-même), autorisent une maille à posséder un moment dipolaire spontané dans cette direction, intrinsèque à la structure. Comme les mailles sont ordonnées dans un cristal, les moments dipolaires de toutes les mailles s’ajoutent, et le cristal entier possède un moment dipolaire.
A l’échauffement, le désordre tend à augmenter la symétrie des cristaux, provoquant des transitions de phases vers des sur-groupes. Fréquemment, cet accroissement provoque la perte progressive de la polarisation de la maille (Figure 10). Par exemple, un centre d’inversion apparaît plus ou moins progressivement, annulant le moment dipolaire. Cette variation crée un courant électrique dans un circuit relié à des faces opposées du cristal : on dit qu’ils sont pyroélectriques.
L’effet est connu depuis l’Antiquité : Théophraste, au IVème siècle avant JC, avait remarqué que la tourmaline chauffée attirait des petits morceaux de paille ou de cendre. L’effet a été redécouvert au XVIIIème siècle et les matériaux pyroélectriques servent essentiellement de détecteurs pour les rayonnements infra-rouges, par exemple pour la détection des incendies.
Dans certains cristaux, alors que les barycentres des charges positives et négatives sont confondus, il est possible de les séparer par compression selon un des axes. Ainsi, dans ces cristaux, sous certaines contraintes mécaniques, on peut faire apparaître un moment dipolaire, et le faire varier en augmentant la contrainte, ce qui génère également un courant électrique (Figure 11). On dit que ces cristaux sont piézoélectriques (Figure 12).
Plus généralement, dans un cristal piézoélectrique, toute contrainte non uniforme provoque l’apparition d’un moment dipolaire. Réciproquement, un tel cristal auquel on applique une différence de potentiel se contractera ou se dilatera.
Il est possible de relier ces propriétés à la structure cristalline. En effet, si la structure présente un centre d’inversion (une structure centro-symétrique), il lui sera impossible d’être piézoélectrique. Parmi les 32 groupes ponctuels, 20 des 21 non centro-symétriques permettent la piézoélectricité. Parmi ces 20 groupes, seuls 10 permettent la pyroélectricité. Évidemment, les cristaux pyroélectriques sont aussi piézoélectriques.
Bibliographie (commune aux quatre articles du dossier)
- Cours de cristallographie Livre III Première Partie Radiocristallographie Théorique, R. Gay, Gauthier-Villars et Cie, 1961.
- Symétrie et Structure, J. Angenault, Vuibert, 2001.
- Propriétés physiques des cristaux, leur représentation par des tenseurs et des matrices, J.F. Nye, Dunod, Paris, 1961.