La liaison ionique

La liaison ionique résulte de l’interaction entre deux ions de signes opposés, issus d’un atome de type métallique et d’un atome non-métallique.
Dans une liaison ionique, un électron de l’atome métallique est donné à l’atome non-métallique. Cela entraîne la génération d’une charge positive pour l’atome métallique (le cation) et une charge négative pour l’atome non-métallique (l’anion).
Un exemple est celui du chlorure du sodium (Figure 1), où un électron de l’atome de sodium est transféré à l’atome de chlore, permettant de former un couple sodium-chlorure et l’établissement d’une liaison ionique

Liaison ionique entre le cation Na+ et l’anion Cl-
Auteur(s)/Autrice(s) : Plais, Romain Licence : CC-BY

Les interactions non-covalentes avec les systèmes π

Il est possible pour un système π d’interagir avec différentes espèces chimiques telles que des anions (on parlera alors d’interaction π-anion), des cations (on parlera alors d’interaction π-cation) ou encore d’autres systèmes π (on parlera alors d’empilement-π ou « π-stacking »).
Dans la suite de ce paragraphe, nous nous focaliserons uniquement sur les systèmes π aromatiques. Il existe deux grandeurs qui régissent la capacité d’un noyau aromatique à interagir avec d’autres espèces chargées ou non :

  • Le moment quadrupolaire permanent (Qzz) : celui-ci est lié aux forces électrostatiques et traduit la répartition électronique autour du noyau aromatique. Il est exprimé en Buckingham (unité dont le symbole est B ; 1 Buckingham = 1 Debye-Ångström) et peut prendre une valeur positive ou négative. [13]

Ainsi, si le moment quadrupolaire Qzz est positif, le noyau aromatique possède une charge positive de chaque côté du plan et interagit préférentiellement avec les anions. Par exemple, la molécule d’hexafluorobenzène (C6F6) possède un moment quadrupolaire de +9.50 B (Figure 2a). [13]
Inversement, les noyaux possédant un moment quadrupolaire Qzz négatif présentent une charge négative de chaque côté du plan et interagissent préférentiellement avec les cations. Par exemple, la molécule de benzène (C6H6) possède un moment quadrupolaire de -8.45 B (Figure 2a). [13]

  • La polarisabilité moléculaire (αǁ) : elle concerne la déformation du nuage électronique. Elle est liée aux effets de polarisation induits par la présence d’un ion à proximité du cycle aromatique. Plus le coefficient est élevé, plus la densité électronique est affectée (Figure 2b). Elle est exprimée en unités arbitraires (u.a.). Par exemple, la molécule de tétrazine (C2H2N4, Figure 3c), possède une polarisabilité moléculaire de +58.7 u.a. [13]
(a) Représentations schématiques des moments quadrupolaires du benzène (C6H6) et de l’hexafluorobenzène (C6F6) et (b) représentation schématique de la déformation du nuage électronique d’un système π en présence d’un anion (polarisabilité moléculaire).
Auteur(s)/Autrice(s) : Plais, Romain Licence : CC-BY

L’interaction π-anion

Une interaction π-anion est une interaction de type Van der Waals s’établissant entre un anion et un groupement aromatique électrodéficient.[37] Cette interaction a été mise en évidence par Hiraoka et coll. en 1986 lors de l’étude de l’interaction entre des ions halogénure et l’hexafluorobenzène.[38] Depuis, l’existence de cette interaction est acceptée par la communauté scientifique.[37]
La liaison π-anion est d’autant plus forte que le moment quadrupolaire et/ou la polarisabilité moléculaire du noyau aromatique est/sont élevé(s). [13] La force d’une liaison π-anion est généralement comprise dans l’intervalle 20-70 kJ.mol-1.[13]

Cette interaction a connu un essor important en chimie supramoléculaire depuis sa découverte. Notre équipe de recherche a ainsi pu mettre en évidence la formation d’une interaction π-anion entre un cycle aromatique de type tétrazine (C2N4) et un anion chlorure (Cl-, voir Figure 3a et b).

(a) Exemple d’une molécule engagent des liaisons hydrogène via les deux atomes d'hydrogène du groupement de type urée avec l'anion chlorure ainsi qu'une interaction π-anion entre le noyau aromatique tétrazine et l'anion chlorure (b) Visualisation de l'interaction π-anion entre le noyau aromatique tétrazine et l'anion chlorure (la partie phénylurée est omise pour clarification) (c) Structure de la 1,2,4,5-tétrazine

Les atomes de chlore sont représentés en vert, ceux de fluor en bleu clair, ceux d’azote en bleu foncé, ceux d’oxygène en rouge, ceux carbone en gris et ceux d’hydrogène en blanc.

Auteur(s)/Autrice(s) : Plais, Romain Licence : Reproduit avec autorisation Source : HAL theses

Ce noyau aromatique possède un moment quadrupolaire faible de +2.5 B et une forte polarisabilité moléculaire (α=58.7 a.u.), cette dernière étant la principale contribution à l’interaction π-anion dans cet exemple.[37]

L’interaction π-cation

 

Interaction entre un ion sodium et une molécule de benzène
Auteur(s)/Autrice(s) : Plais, Romain Licence : CC-BY

L’interaction π-cation est une interaction attractive entre un cation métallique et un composé aromatique.[39] L’origine de cette interaction provient des forces de Van der Waals.
La force d’une interaction π-cation est liée à un moment quadrupolaire fortement négatif et/ou une forte polarisabilité moléculaire. Une interaction π-cation peut avoir une intensité de l’ordre de 10-100 kJ.mol-1.[39]

Le benzène est un exemple de noyau aromatique permettant l’établissement d’une interaction π-cation. Dans l’exemple présenté ci-contre, un ion sodium peut engager une interaction avec les électrons π du benzène (Figure 4).

 

Le π-stacking

Le π-stacking (ou empilement-π) constitue un type d’interaction non-covalente entre deux noyaux aromatiques. Elle est liée au recouvrement orbitalaire des orbitales π des noyaux aromatiques.[40]
Il existe plusieurs types de π-stacking (Figure 5) :

  • Le π-stacking « sandwich », qui correspond à l’empilement direct de deux noyaux π. Cette interaction est répulsive et donc instable par nature.
  • Le π-stacking « en forme de T », dans lequel les deux noyaux aromatiques se retrouvent orthogonaux l’un par rapport à l’autre. Ce type de π-stacking est plus stable.
  • Le π-stacking « parallèle décalé », dans lequel les deux noyaux aromatiques sont parallèles l’un par rapport à l’autre, mais décalés, est également plus stable. Il est notamment observé dans la structure obtenue par diffraction des rayons X d’un composé pentafluorophénylurée à l’état solide (Figure 6).
Différents types de π-stacking : (i) Sandwich, (ii) en forme de T et (iii) parallèle décalé.
Auteur(s)/Autrice(s) : Rick, Emily Licence : CC-BY-NC-SA Source : Wikimedia Commons
Exemple de π-stacking observé entre deux molécules pentafluorophénylurées

Les atomes de fluor sont représentés en vert, ceux d’azote en bleu, ceux d’oxygène en rouge, ceux de carbone en gris et ceux d’hydrogène en blanc.

Auteur(s)/Autrice(s) : Dr. Romain Plais, Guy Gouarin, Amélie Bournier, Olfa Zayene, Vanessa Mussard, Flavien Bourdreux, Dr. Jérome Marrot, Arnaud Brosseau, Dr. Anne Gaucher, Dr. Gilles Clavier, Dr. Jean-Yves Salpin, Prof. Dr. Damien Prim Licence : CC-BY Source : Chemistry Europe

Les effets hydrophobes

Les effets hydrophobes décrivent les interactions pouvant s’établir entre des molécules d’eau et des molécules (ou des surfaces) hydrophobes. Les effets hydrophobes sont présents dans de nombreux domaines. Du fait de la thermodynamique, les molécules ayant des propriétés similaires ont tendance à se rapprocher les unes des autres. Par exemple, les molécules d’huile, qui sont hydrophobes, interagissent entre elles et ont tendance à se rassembler pour former une phase non miscible à l’eau.
 

Goutte d'eau sur la surface naturellement hydrophobe d'une cuticule végétale
Auteur(s)/Autrice(s) : Michael Apel Licence : CC-BY Source : Wikipedia

Une autre application de ces effets hydrophobes est l’interaction entre l’eau et une surface hydrophobe (Figure 7).

On observe que les molécules d’eau interagissent entre elles et limitent le plus possible l’interaction avec la surface hydrophobe. Elles se rassemblent en une goutte sphérique pour limiter le contact avec la surface hydrophobe1.

Une autre application se situe dans les sciences de la vie avec l’exemple des protéines. Dans une cellule, une protéine a tendance à se replier spontanément, car sa structure repliée est plus stable thermodynamiquement que la structure dépliée (Figure 8).

Représentation schématique du repliement d'une protéine
Auteur(s)/Autrice(s) : Tomixdf Licence : Domaine public Source : Wikimedia

Conclusion

Les trois premiers volets du dossier intitulé Les interactions non covalentes au service du traitement des canalopathies ont mis en évidence la grande diversité des interactions non covalentes. Cette diversité constitue un panel important de possibilités pour les chimistes spécialisés en chimie supramoléculaire. Dès lors, les interactions non covalentes peuvent également être un outil de choix pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques, notamment dans le traitement des canalopathies.

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