Introduction

Sous le terme générique de pesticides se dissimulent environ 370 substances actives différentes, autorisées à la commercialisation en France. On distingue traditionnellement trois types principaux de pesticides correspondant à trois usages différents : les herbicides, les fongicides et les insecticides. Sous chacune de ces appellations on retrouve un grand nombre de familles chimiques différentes (par exemple triazines, carbamates, urées, organophosphorés...). Environ 110 000 tonnes de pesticides sont utilisées chaque année en France, dont près de 100 000 tonnes par l'agriculture et le reste par les particuliers, les DDE, la SNCF, les services des Parcs et jardins des grandes villes... Les fongicides et les herbicides représentent respectivement 50 et 40 % de ce tonnage annuel. Les utilisations sont fonction des cultures, des conditions climatiques et du type de nuisances à traiter. L'emploi de pesticides est localisé dans le temps (périodes de traitement) et dans l'espace (zones géographiques). Ces emplois ponctuels se font souvent à très fortes doses, ce qui peut entraîner des nuisances importantes. Les rejets d'industries de fabrication de pesticides, les « friches » industrielles et les décharges non contrôlées sont également sources de pollution de l'environnement et des eaux par les pesticides. Enfin, les particuliers, du fait de leurs activités de jardinage et de débroussaillage chimique, apportent une petite contribution à cette pollution. Leur méconnaissance des produits utilisés peut cependant entraîner des conséquences plus importantes pour les eaux, l'environnement, et même leur propre sécurité.
 

Famille chimique

Exemple

 

Triazines

 

Atrazine (herbicide)

 

Carbamates

 

Carbofurane (insecticide)

 

Urées

 

Diuron (herbicide)

 

Organophosphates

Plus généralement, les organophosphorés sont les molécules organiques contenant du phosphore.

 

Dichlorvos (insecticide)

 

Organochlorés

 

Aldrine (insecticide)

Tableau 1 : Exemples de molécules pesticides

Contamination des eaux de surface et souterraines

Les modes de contamination des eaux de surface sont principalement liés soit aux lessivages des sols lors d'orages accompagnés de pluies abondantes survenant après des périodes de traitements, soit aux déversements lors d'accidents de transport de pesticides, soit enfin aux rejets industriels dans les rivières via les égouts. Les contaminations des eaux souterraines et des nappes phréatiques sont principalement liées à la migration de certains pesticides à travers les sols [1]. Des déversements accidentels dans des puits ou sur des sols lors du remplissage des pulvérisateurs sont également des menaces pour les eaux souterraines. La présence de pesticides dans les eaux de distribution publique a souvent deux origines très différentes. La pollution de la ressource en eau brute1, associée à l'insuffisance des traitements de potabilisation pour l'élimination des pesticides peuvent donner une eau de distribution non conforme aux normes de qualité. L'autre cause possible est la dégradation de la qualité de l'eau dans le réseau en raison d'un retour d'eau. Le phénomène de siphonnage d'une cuve en cours de remplissage peut par exemple entraîner l'introduction de produits concentrés en amont dans le réseau de distribution.

Législation

Il apparaît que les modes de contamination des eaux par les pesticides sont multiples, que les teneurs dans les eaux sont très variables et parfois élevées, et que des métabolites stables issus des molécules d'origine peuvent être mis en évidence. Cela rend le problème de l'analyse de ces composés très complexe, d'autant plus que la stratégie de recherche doit prendre en compte la législation sur les eaux brutes et sur les eaux destinées à la consommation humaine. La législation sur les pesticides [2] mentionne quelques rares substances actives à rechercher avec des limites à ne pas dépasser (aldrine Les produits persistants sont des produits dont la biodégradation est lente. Cela leur permet de persister dans l'environnement et de s'accumuler dans les organismes vivant en provoquant des effets toxiques à longs termes., les organophosphorés, les carbamates, les herbicides, les fongicides, les polychlorobiphényles (PCB) et les polychlorotriphényles (PCT)2 ne doivent pas être présents à une teneur supérieure à 0,1 µg/L d'eau par substance et que le total des substances mesurées doit être inférieur à 0,5 µg/L d'eau. Les laboratoires doivent donc s'interroger sur la nature des pesticides à rechercher et sur les moyens analytiques disponibles.

Aldrine
 
Figure 2. Aldrine.
 
Dieldrine
 
Figure 3. Dieldrine.
 
Hexachlorobenzene
 
Figure 4. Hexachlorobenzene.
 
Structure des PCB (gauche) et PCT (droite)
 
Figure 5. Structure des PCB (gauche) et PCT (droite).

 

Stratégie d'analyse

Trois niveaux d'approche peuvent être envisagés, du plus restrictif au plus large. On peut :
  • soit rechercher les seules substances actives citées nominativement dans la législation,
  • soit établir, en fonction de la législation et d'enquêtes de terrain des listes de substances choisies comme traceurs et les quantifier selon des normes analytiques publiées3,
  • soit rechercher toutes les substances actives présentes et les identifier par des méthodes de détection large, avant de les quantifier.

Avant chaque analyse, il faut donc établir une stratégie prenant en considération l'utilisation des molécules, l'utilisateur, le devenir des produits, la législation en vigueur et les possibilités techniques du laboratoire.

Pour rechercher les molécules explicitement indiquées par le décret, les laboratoires s'appuient sur deux normes AFNOR4 concernant l'analyse des pesticides organo-chlorés et des PCB, et le dosage de l'atrazine et de la simazine, deux herbicides de la famille des triazines. Ces deux méthodes normalisées extraient les composés organiques de l'eau par un solvant organique (hexane ou dichlorométhane) et les séparent par chromatographie en phase gazeuse [3] en utilisant des détecteurs spécifiques à chaque famille étudiée. L'identification et la quantification des molécules dosées peuvent être confirmées par une chromatographie sur colonne ou par spectromètrie de masse [4]. Cependant, la seule application de ces deux normes ne permet de doser qu'un nombre de pesticides très insuffisant pour répondre pleinement à la législation dans le cadre de la santé publique. De plus il faut pouvoir répondre aux demandes de détection de molécules particulières par les DDASS (Directions Départementales des Affaires Sanitaires et Sociales), les traiteurs d'eau ou les clients particuliers auxquelles les laboratoires doivent pouvoir faire face techniquement.

L'approche plus systématique de la recherche des pesticides dans les eaux repose sur l'établissement de listes de molécules d'intérêt, différentes selon les pays et les régions. L'agence Américaine pour la Protection de l'Environnement (EPA) a établi une liste de 101 pesticides et 25 métabolites dont la recherche est jugée prioritaire. On peut reprocher à cette liste d'être très longue, de mettre en œuvre de nombreuses méthodes analytiques coûteuses, et donc d'être difficile à utiliser pour rechercher de façon systématique les polluants des eaux. Cette approche a cependant l'avantage d'encadrer les laboratoires qui savent exactement quelle molécule rechercher et par quelles méthodes, les résultats de différents laboratoires pouvant ainsi être facilement comparés. L'AFNOR a repris l'approche de l'EPA mais avec une vision moins ambitieuse et plus pragmatique pour résoudre les problèmes posés en France par l'analyse des pesticides. La réflexion repose sur la définition d'une liste positive de traceurs de pollution (choisis en fonction de leur toxicité, de leurs caractéristiques physico-chimiques, de leur utilisation au niveau local et national, de leur solubilité dans l'eau et de leur devenir dans l'environnement) à laquelle sont associées une ou plusieurs méthodes analytiques pouvant éventuellement être ultérieurement normalisées.

Enfin, la troisième voie, qui consiste à déterminer toutes les molécules présentes dans l'échantillon d'eau, utilise impérativement la spectrométrie de masse comme système de détection, couplée soit à une chromatographie en phase liquide, soit à une chromatographie en phase gazeuse. C'est, bien sûr, la voie de la sécurité puisqu'elle donne une vision quasi exhaustive de la pollution. Cependant, cette qualité est contrebalancée par le fait que la méthode de mesure est moins sensible ce qui ne permet que la détection de concentrations plus fortes.

Conclusion

À l'heure actuelle, le problème est moins de savoir analyser les molécules (ce qui revient à les séparer puis les identifier), que de savoir les extraire de l'eau. C'est en cela que réside le grand défi des années à venir, car nos capacités analytiques dépassent encore largement nos capacités d'extraction des polluants de leur matrice. Cette extraction est nécessaire car la plupart des systèmes d'analyse ne permettent pas d'utiliser directement les échantillons d'eau (il est impossible d'injecter une solution aqueuse dans une colonne de chromatographie) sans compter que la concentration des polluants dans ces échantillons est en général trop faible pour être détectée.

Références

[1] S. Rauzy, «Les résidus de pesticides dans les eaux souterraines» Annales de l'Association Nationale pour la Protection des Plantes, 5 (1987) 95-105.

[2] «Décret n°2001-1220 du 20 décembre 2001 relatif aux eaux destinées à la consommation humaine, à l'exclusion des eaux minérales naturelles» JORF, (2001) 20381-20399.

[3] Chromatographie en phase gazeuse, voir par exemple D. Skoog, D. West, J. Holler, Chimie Analytique De Boeck, Paris, 1997, ou F. Rouessac, A. Rouessac, Analyse Chimique Dunod, Paris, 2004, 6ème éd.

[4] S. Rauzy, J. Danjou, «Apports de la spectrométrie de masse et des différentes techniques d'extraction dans l'étude de la micropollution organique» Journal Français d'Hydrologie, 22, fasc 2 (1991) 223-257

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